Le tourisme durable vu par une hébergeuse – Interview de Patricia

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J’ai rencontré Patricia lors du salon des blogueurs de voyage. Cette année, elle faisait une conférence sur l’impact de l’influence media sur le tourisme et les lieux prisés. C’est une des rares professionnelles du tourisme, côté offre, que j’ai rencontré qui communique ouvertement sur les dérives du tourisme de masse et qui intègre ces problématiques dans sa démarche pour un tourisme plus durable, quitte à être moins rentable que les autres.

C’est un grand plaisir pour moi d’accueillir son interview et de vous partager sa philosophie !

Patricia, qu’est ce qui t’interpelle dans le tourisme de masse aujourd’hui ?

Le tourisme de masse n’est certes pas un phénomène récent mais ce qui m’interpelle aujourd’hui, c’est la signification qu’il a pris. La notion de « masse » a changé. Dans les années 60, une seule génération voyageait, celle qui avait le pouvoir d’achat et le voyage n’était pas accessible à tous. Aujourd’hui, ce sont 4 générations qui voyagent. Le voyage s’est popularisé devenant accessible à tou.te.s (ou presque !) En soi, c’est top, permettre de voyager à tou.te.s, d’aller à la rencontre de l’autre, de connaitre d’autres horizons…

Mais nous a-t-on donné le kit de compréhension pour voyager ? Aujourd’hui, tout le monde veut aller partout, tout le temps, en même temps avec les effets pervers que l’on connait.
Le revers de la médaille : toute le monde prétend vouloir sortir des sentiers battus et préférer les endroits pas trop touristiques mais au final tout le monde veut faire et voir comme son voisin. Et dans ce « pas trop touristique » on comprend déjà tout le paradoxe.

Je pense qu’il y a lieu de se pencher sur la définition même du mot «tourisme» et je suis certaine que si on devait faire un micro-trottoir, on n’aurait pas tous la même définition. Parfois, je me dis qu’il serait bon de redonner une image positive à ce terme de « tourisme ».
Vous avez remarqué à quel point il est utilisé dans le sens négatif : un piège à touriste. On nous prend pour des touristes… etc.

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Maison d’hôtes – Le Rucher ©Patricia Almeida


Selon toi, quel rôle les influenceur.euse.s jouent ou peuvent jouer sur le tourisme ?

C’est clair que les influenceur.euse.s ont un vrai rôle à jouer sur le tourisme. Bien que certains lieux étaient déjà victime d’un tourisme de masse, l’influence et les réseaux sociaux ont amplifié la problématique.
Mais attention, il n’est pas question de pointer du doigt les influenceur.euse.s. D’une part faudrait-il s’entendre sur ce qu’est un.e influenceur.euse car de mon point de vue l’influence est partout : le cinéma, la presse, les locaux; et d’autre part les volontés touristo-politiques ont aussi largement contribué à l’effet masse. Mais bon, on ne va pas faire le procès de ce qui aurait dû ou pu.

▶ A lire aussi : Le tourisme de masse, un vrai problème

L’enjeu est à présent de voir différemment et puisque l’influence est au cœur de toute les stratégies… Pourquoi ne pas la mettre au service d’un tourisme durable ? Prenons l’exemple de la blogosphère voyage. Ce qui définit le mieux cette communauté, c’est la passion du voyage et j’ai tendance à croire qu’iels sont prescripteur.rice.s de tendances, dénicheur.euse.s de trésors, qu’iels savent aussi tisser des liens et raconter des histoires… alors j’ai envie de les inviter à affirmer leur passion, à laisser tomber stat’ de trafic, audience, etc.. et à exprimer davantage les valeurs et l’ADN des lieux qu’iels visitent plutôt que ses atouts photogéniques.

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Maison d’hôtes – Le Rucher ©Patricia Almeida

Quant aux pros du tourisme, lâcher prise avec les chiffres, la croissance, et le marketing du toujours plus. J’avoue aussi que je suis en overdose de marketing ! Laissez les blogueur.euse.s-influenceureuse.s passionné.e.s vous guider sur les chemins d’un tourisme durable.

Qu’avons-nous à perdre à donner carte blanche ? Arrêtons de vendre du rêve, à force de vendre du rêve, plus personne ne rêve. Montrons le vrai, le pas parfait, la vraie vie quoi !


Comment réagis-tu en tant qu’hébergeuse ? Quelles sont les pratiques que tu as mis en place ?

En tant qu’hébergeuse, je fais le maximum pour appliquer les valeurs que je défends, c’est-à-dire MOINS mais MIEUX. Je prône le slow tourisme depuis mes débuts (8 ans), ce n’est pas une tendance mais une réelle démarche d’accueil qui se traduit par 1000 petits détails.

J’agis selon mes convictions personnelles, des convictions qui ont parfois surpris voir choqué dans le monde pro. J’ai fait des choix et faire des choix c’est renoncer.

J’ai par exemple renoncé à collaborer avec des intermédiaires. Je ne suis pas sur Booking, ni sur aucun OTA (Online Travel Agency), ni sur aucun annuaire… ma distribution se fait via mon site, blog et les réseaux sociaux. Je tiens à garder la relation directe avec mes hôtes et accueillir des «hôtes qui me ressemblent »

Je limite les pics de fréquentations. Il y a 8 ans, J’ai opté pour un tourisme sans saisonnalité (bien que je sois en montagne) en construisant mon 1er site web sur les découvertes aux 4 saisons. Du coup, j’ai le même taux d’occupation de janvier à décembre. En tant que maison d’hôtes, je suis partie de l’idée que si je vis à l’année sur mon territoire, je peux aussi accueillir toute l’année, gommant ainsi les effets de saisonnalité. 365 jours c’est 365 occasions de faire découvrir mon territoire comme un.e habitant.e.

Par ailleurs, je privilégie également les courts séjours en mettant en place des forfaits découvertes dès 2 nuits et limite le plus possible les nuitées seules qui ne reflètent pas ma philosophie d’accueil et pas top non plus sur un plan éco !

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©Patricia Almeida

 

Il est évident que tout cela a un impact sur mon chiffre d’affaires. Moins (de chiffres) mais mieux (plus d’éthique).

Ceci étant, malgré ses contraintes que je me suis imposée, mon taux d’occupation me satisfait pleinement et me permet de vivre de mon métier passion. Vivre de ses passions, c’est le plus beau cadeau, non ?!

Sinon, bien évidemment, j’exploite toutes les ressources naturelles qui sont à ma disposition (verger, rucher, potager… et les prés sauvages !!!) je privilégie les circuits courts voir très très courts ;-) et favorise les échanges locaux.
Je concocte des programmes découvertes pour des escapades sur mesure afin que mes hôtes puissent vivre et ressentir le vrai de ma vallée. Je favorise les séjours en mobilité douce en les aidant dans la logistique, en partageant mes bons plans rando, en mettant à disposition gracieusement raquettes à neige l’hiver, vélo électrique le reste de l’année.

MAIS parce qu’il y a un MAIS, comme la majeure partie des montagnards, je roule en 4×4, MEA CULPA !


Comment aimerais tu voir évoluer le secteur du tourisme ?

J’aimerais qu’il soit incarné par des gens passionnés, davantage concerné par la qualité de vie sur place que par la quantité de visiteurs par année.

J’aimerais un tourisme de valeurs avec l’intégration des habitants dans la vision touristique.

J’aimerais des offices du tourisme qui n’en sont plus, avec des lieux de vie villageoise favorisant la rencontre et l’échange entre visiteur.euse.s et habitant.e.s.

J’aimerais que chaque citoyen.ne s’implique dans la dynamique touristique, que chacun.e devienne un prescripteur.rice de son territoire.

J’aimerais voir moins d’airbnbsation, mais ça c’est un autre débat.

J’aimerais qu’on favorise le tourisme local, j’aimerais….

En un mot, j’aimerais un tourisme qui soit orienté vers l’Humain.

Je remercie chaudement Patricia pour ce témoignage qui résonne fort en moi. J’espère qu’il vous aura inspiré aussi.

***

Et toi, que penses-tu du secteur du tourisme aujourd’hui ?

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Planet Addict

A 24 ans, j'ai plaqué mon CDI pour partir voyager. Un voyage qui m'a emmené plus loin que ce que je pensais : il m'a ouvert des portes pour suivre mes rêves, m'engager à adopter un mode de vie minimaliste et plus éthique, et élever ma conscience. Depuis 6 ans je partage mon cheminement et mes changements d'habitudes de vie avec vous, en espérant planter des graines !

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