Nous n’avons pas tou.te.s les mêmes conditions de confinement. Pour moi et d’autres c’est du temps dégagé, pour d’autres, ce sont des difficultés, du travail en plus. Il y a pas mal d’opinions sur la notion de privilège et j’avais envie de partager mon point de vue.
Honte de ses choix ?
Je me désole du bashing qu’on peut voir sur les réseaux sociaux sur les gens qui (et dont je fais partie) :
- se sont échappé à la campagne pour vivre le confinement
- n’ont pas de contraintes particulières et ne sont pas trop mal lotis
- partagent des activités d’oisiveté pendant que d’autres galèrent entre télétravail, éducation à la maison, faillite, pénurie de matériel, heures supplémentaires
Comparaison, jugement… personnellement je ne mets aucune énergie là-dedans.
Étrangement et c’est positif pour moi, je ne ressens et ne cèderais à aucune culpabilité. Je me suis vraiment très longtemps débattue avec cette émotion, notamment à travers mon parcours d’écolo qui veut toujours en faire plus et qui a honte d’être une humaine quand on voit ce qu’est capable de faire notre espèce. Mais aussi parce que je suis blanche, hétéro, moyenne classe, vivant en France (je reste une femme, donc pas non plus tout en haut de la pyramide mais quand même ;)…).
Je me suis longtemps sentie coupable et vous savez quoi ? Ça me gâche la vie et tout le monde s’en tape.
▶ A lire aussi : Coronavirus, effondrement et éco-anxiété ◀
Est-ce vraiment utile de se sentir coupable ?
Je vous raconte une petite anecdote qui m’a marqué à vie (et ça m’a pris 3 ans pour commencer à l’intégrer ^^) :
Quand j’étais au Mexique, un jour j’avais le nez dans un pot de glace. Pas végan, pas bio, pas une marque terrible. Je la mangeais et je disais à voix haute « c’est pas très bien ce que je fais ».
Un ami m’a alors dit « pourquoi tu fais ça ? Soit tu manges ta glace et tu la kiffes soit tu la manges pas. Mais la manger en culpabilisant, je vois pas l’intérêt ».
Voilà donc maintenant je me pose la question : est-ce que je peux vivre avec mon choix parce qu’il me fait du bien, ou est-ce que les conditions autour ne sont pas assez alignées avec mes valeurs par rapport à l’expérience et dans ce cas je laisse tomber ?
J’ai énormément travaillé à sortir de cet état de culpabilisation, de comparaison, de « jamais assez » et j’arrive de plus en plus à faire le tri.
Dans ce cas précis, vivre le confinement dans un cadre agréable était une évidence pour moi.
Pourquoi faudrait-il absolument rester dans des conditions difficiles si on a une autre possibilité et qu’on respecte toutes les précautions ? Est-ce qu’on est obligé de le vivre mal ? Est-ce que je dois vraiment culpabiliser de mes circonstances ? Je ne crois pas que ce soit le message de cet événement.
Les inspirations de Brené Brown
Je vous ai déjà parlé de cette chercheuse américaine qui a interrogé des milliers de personnes autour de la honte et la vulnérabilité.
Je vous recommande d’ailleurs ses livres ou a minima ses interventions vidéo, parce qu’elle a un don pour raconter des histoires et faire comprendre ces concepts avec beaucoup de clarté, et d’humour.
▶ Brené Brown :
Le pouvoir de la vulnérabilité – Brené Brown recommandés
Ted Talk sur la vulnérabilité (20 min)
Ted Talk sur la honte (20 min)
Honte et culpabilité quelle différence ?
Experte en honte, ses définitions sont assez limpides. La culpabilité c’est « j’ai fait une erreur, ou quelque chose de mal ». Elle est utile pour se remettre en question permet de corriger le tir, soit en présentant des excuses si c’est envers quelqu’un.e, soit en faisant autrement la prochaine fois.
Pour en revenir à mon histoire de pot de glace, rien de sert de prendre une douche quotidienne de culpabilité si on ne change pas ses comportements. C’est une émotion qui appelle à se repentir, à évoluer.
▶ A écouter : Culpabilité sur le podcast Émotions
La honte, c’est « je suis une erreur, je suis mal ». C’est lié à un état et non une action. Et une émotion qui fige, qui rabaisse.
L’ennui c’est qu’on confond souvent la culpabilité et la honte. On transforme une action en un état général. « j’ai mal agit donc je suis mauvais.e », « je me suis trompé.e donc je suis nul.le ». Il y a une identification, une personnification.
Juger les autres
Dans un monde où on se compare de plus en plus, où on se sent toujours soit « pas assez » soit « pour qui je me prends ? », c’est très facile de s’enfoncer dans ces émotions et par effet miroir de juger les autres de la même façon.
D’ailleurs, lorsqu’on se sent honteux ou coupable on a tendance à vouloir générer ces émotions chez les autres, par réaction réflexe.
Sauf que chacun.e agit en fonction de ses propres moyens et contraintes. On ne connaît pas les conditions des autres et juger une personne sur une action sans la connaître, c’est réducteur. On peut être en désaccord, mais de là à prétendre mieux savoir ce qu’iel aurait dû faire, je ne suis pas sûre.
Comme dit Brené, c’est difficile de juger et détester quelqu’un de près. Lorsqu’on en sait plus sur la personne, ou qu’il y a de l’affect, on a plus tendance à dire « oui mais toi, c’est différent « . Forcément, on a plus d’informations.
Pratiquer la gratitude
Bréné Brown étudie notamment les comportements récurrents lorsqu’on se sent vulnérable. Par exemple, face à des choses ou des personnes qu’on aime, beaucoup ne les apprécient pas pleinement de peur de les perdre ou par culpabilité d’avoir ce que d’autres n’ont pas. Son antidote : la gratitude.
Elle a interrogé des personnes qui ont perdu des êtres chers qui lui confirment que la meilleure manière d’être dans l’empathie, ce n’est pas de culpabiliser de pouvoir vivre ce qu’elles ne peuvent pas ou plus, mais d’honorer et d’apprécier qu’elles le peuvent.
Sans gratitude, on bloque l’accès au sentiment de joie pour laisser plus de place à la honte.
Et est-ce que le fait de se sentir honteux aide les autres ? Non. Au contraire, ça nous empêche d’utiliser notre énergie pour faire du bien.
Jess Lively et l’analogie du corps
Jess Lively est une américaine passionnée de l’intuition, la vie quantique, et la vie au-delà du physique. Elle anime un de mes podcasts préférés « The lively show ». Son podcast a débuté avec des interviews d’entrepreneur.euse.s plus ou moins célèbres pour ensuite passer en solo pour raconter ses apprentissages et comment elle décide de vivre sa vie.
Certains épisodes sont un peu perchés (moi j’adore), en tout cas elle est assez douée pour faire des métaphores assez parlantes.
Souffrir ou soutenir ?
En l’occurrence, elle compare les êtres humains aux cellules d’un même corps (et je suis particulièrement fan de cette analogie).
Lorsqu’une partie du corps est en souffrance, mettons le pied, si tout le corps se mettait en souffrance par empathie, ce serait invivable. Le corps ne supporterait pas. Les autres parties ont plutôt intérêt à se porter bien pour soutenir la guérison.
Pour les humain.e.s c’est pareil. Si je ne suis pas directement concernée par un type de souffrance, je suis plus efficace à maintenir un niveau de bien-être que de me mettre mal par empathie.
▶ Écouter l’épisode 332 sur la pandémie et comment aider
Si on considère que l’empathie c’est la capacité d’être à l’écoute de l’expérience émotionnelle des autres, cela ne nous invite pas à souffrir avec eux.elles. On peut être à l’écoute, attentif.ve, tout en restant dans sa propre émotion. On sera plus en capacité de soutenir les autres.
Pour en revenir aux privilèges
Vivre cette situation comme on le peut
Cela me conforte dans l’idée que nier mes conditions et culpabiliser ou me sentir honteuse de ce que j’ai n’est pas très utile, en plus de me faire du mal.
Je reste quelqu’un d’hypersensible et ce qu’il se passe me touche vraiment. Je suis désolée du fait que certaines personnes soient en souffrance en ce moment, que des personnes perdent leur emploi, soient surchargées ou se mettent en risque. Je salue celles et ceux qui sont au front et font face à la situation de plein fouet.
Mais me flageller d’avoir la chance d’être dans de bonnes conditions, ça n’aidera personne. Ce n’est pas de l’égoïsme. Je respecte les règles de confinement, je ne vois personne d’autre que les personnes avec qui je vis, j’utilise mon temps pour me réaligner, contribuer comme je peux de là où je suis et réfléchir à la suite. Je vis, le plus normalement possible, parce que je suis en vie et qu’en soit, ça va.
Le privilège n’est pas mauvais en soi. C’est ce qu’on en fait. Je préfère en être reconnaissante et continuer d’avancer. Je trouve que c’est une meilleure utilisation de mon énergie.
▶ A lire aussi : journal de confinement de Lucie sur les privilèges – Blog Enough
Ne pas avoir le droit d’être mal ?
Tout ceci étant dit, j’aimerais terminer en décorrélant le fait de vivre bien ou non cette phase en fonction de ses conditions. Est-ce que parce que j’ai de bonnes conditions, je n’ai pas le droit d’avoir de la difficulté à le vivre ? Est-ce que parce que d’autres arrivent à le vivre bien malgré leurs conditions devraient me faire me remettre en question ?
Parce que personnellement malgré ma bonne situation, j’ai encore des moments d’angoisse. Et je m’autorise encore peu à leur permettre d’exister parce que « je suis privilégiée« . Parce que « tu vois, toi tu ne peux pas te plaindre« . Nous ne sommes pas tou.te.s égaux non plus face à nos émotions et la manière dont on réagit face aux circonstances externes de la vie. Cela tient à chacun.e de s’en occuper, mais ajouter de la culpabilité, de la honte, du jugement, vraiment, je pense qu’on n’a pas besoin de ça.
Je poursuivrais la réflexion là dessus la semaine prochaine…
***
Et toi, comment vis-tu ta situation ?
Merci pour ce billet qui dit simplement et avec tact des choses avec lesquelles, en tant que « privilégiée », je suis d’accord :)
Merci pour ce billet que je trouve très juste et qui fait du bien car en effet, on ne lit pas que des messages bienveillants dernièrement or nous avons énormément de bienveillance pour supporter cette période. Take care.
Merci ! Oui privilégions la solidarité et l’empathie plutôt que la comparaison et la division !
Merci pour ton post sur les Privilèges qui aborde un autre angle que le mien :) A la semaine prochaine!