L’année 2020 touche à sa fin, et l’heure est venue de faire un classique bilan. Sauf que celui-ci n’a rien de classique vu l’année qu’on a passée ! Et dans ce bilan, j’ai envie de parler de ce que j’appelle la dictature du bonheur.
Un petit retour sur 2020 ?
Ça ne commençait pas si mal !
J’ai retrouvé un mail que je me suis écrit au début du mois de janvier, à lire pour le nouvel an suivant.
Je sortais de quelques semaines de repos pour me remettre des émotions de 2019, notamment de mon burn-out.
Je me souhaitais plein de choses, avec un regard positif. Cela dit je ressens à la lecture l’incertitude dans laquelle je baignais. J’avais quitté mon travail, je me sentais à bout dans mon action engagée, j’avais envie de quitter Paris sans savoir où aller et surtout, je n’arrivais plus à rêver.
Moi, la voyageuse pleine de projets, j’étais à sec. Difficile d’écrire ce mail alors que je n’avais aucune idée de la direction que je voulais prendre.
Pourtant, j’ai vu de la lumière. En début d’année j’ai vécu de belles synchronicités, j’ai repris confiance et mieux, je me sentais de nouveau enchantée. Cela aura été bref.
Rapidement, j’ai été rattrapée par mes incertitudes et indécisions qui ont donné naissance à des angoisses. Et puis, il y a eu le confinement.
Le raz-de-marée de 2020
Franchement, j’ai vécu l’année la plus difficile de ma vie. Et pourtant je ne suis pas à plaindre. Je suis retournée à la campagne dans la maison familiale, je pouvais marcher dans les bois dans mon kilomètre autorisé, j’avais à manger, une vue sur les arbres et ma famille.
Mais dans ma tête, c’était une catastrophe. Je ne savais pas ce qu’étaient les crises d’angoisse avant de les vivre. Je pensais que j’étais sortie de mon burn-out, je pensais que mon mental était ok, que mon sommeil était revenu. En fait non. J’ai pris une énorme claque. J’ai perdu le peu de repères que j’avais et je me suis retrouvée encore plus à sec, avec une perte totale d’espoir sur l’avenir. Le Covid n’a fait qu’appuyer sur un bouton qui était prêt à m’éjecter. Je ne l’avais pas du tout vu venir !
Je sais pas, mais j’avais l’image de la femme hyper active qui fait un burn-out, s’échappe de sa vie parisienne pour aller au milieu de nulle part et que tout s’enchaînerait parfaitement : nouveau départ, rencontre amoureuse, opportunités professionnelles (oui, même en temps de Covid), maison parfaite, soulagement et révélation de soi.
Lol. Je crois que j’ai regardé trop de films ^^ (ou d’histoires à succès).
Le développement personnel à la rescousse
Le pire dans tout ça c’est que je me suis sentie trahie. Trahie par moi-même, par mes systèmes de protection et de survie et par les choses en lesquelles je crois. Au début, j’ai redoublé d’efforts sur des programmes de méditation, de respiration, de développement personnel. Pour « me reprogrammer », pour changer mes pensées, pour « suivre mon intuition », pour voir les choses du bon côté.
A un moment, j’ai compris un truc. J’étais dans une forme de déni. Je ne pouvais pas continuer de me raccrocher à des citations toutes faites, je ne pouvais plus ignorer les deuils que je n’avais pas faits, je ne pouvais plus voir en peinture les « il faut vivre le moment présent » et « en tirer du positif ». C’était au-dessus de mes forces. C’était au-dessus de mes forces et en même temps je culpabilisais de ne pas y arriver.
Regarder le bon côté n’est pas toujours une bonne idée. Le verre n’est pas que à moitié plein ou à moitié vide. Le verre est. Il est plein ET il est vide. Comme le Yin et le Yang, les deux sont présents. Souvent en déséquilibre, parfois en équilibre parfait, le temps d’un croisement. Mais les 2 existent et ont leur place.
J’en suis devenue blasée du développement personnel à outrance, et de ce que j’appelle la dictature du bonheur. Ce qui suit n’est pas pour « démonter » le développement personnel. Il y a plein de choses utiles en j’en tire encore des inspirations et aides précieuses.
Mais je trouve qu’on le généralise trop, qu’on le voit partout et qu’on le tartine sur tout pour surtout toujours voir la vie en rose.
La dictature du bonheur
Les travers des théories du bonheur
Je vous dis ça avec beaucoup de recul, car je travaille moi-même dans le bien-être et je fais du développement personnel depuis une dizaine d’années. Ce genre de réflexion me tient à cœur parce que je veux que ma pratique soit au service des gens et non pour créer des injonctions supplémentaires. La frontière est fine et la recrudescence de pratiques alternatives est à la fois bénéfique et troublante.
J’ai récemment terminé le livre « Un bonheur sans mesure » de la philosophe Laurence Devillairs (une femme, yes !), et j’ai trouvé des mots qui expliquent ce malaise que je ressens face à certains penchants actuels sur le bonheur et le bien-être. Voici quelques idées qui ont résonné pour moi (les citations sont extraites du livre, les textes sont mon interprétation de certains passages) :
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On est devenu des gestionnaires de nous-mêmes
Tout est devenu travail, la labeur venant prendre la place du récréatif. Travailler sur soi. Gérer ses émotions, ses deuils, son bonheur. Collectionner les petits plaisirs tel un nouveau régime alimentaire. Ce menu du bonheur nous fait penser que son accès est simple, une recette à déployer qui nous rend paradoxalement angoissé.e.s de ne pas y réussir. Car après tout, si je n’y arrive pas, c’est de ma faute. N’est-il pas incroyable que tout soit vendu comme « il suffit de… » et pourtant on galère ?
« Le bonheur se vit avec l’anxiété de ne pas être à la hauteur de tout ce que l’on s’impose »
Et on cultive souvent ce bonheur en fuyant tout ce qui pourrait le blesser, le contrarier et en lui attribuant des critères d’évaluation, comme si cela nous permettait de nous valider.
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L’obsession du bonheur nous amène à occulter ce qu’on étiquette comme « négatif »
Mais que deviennent tout ce négatif, cette tristesse, ces deuils, ces colères ? Une perte n’est pas une porte pour accéder à une vie meilleure, c’est un espace laissé vacant.
La souffrance n’est pas là pour nous donner une leçon, c’est une peine suite à quelque chose de douloureux.
La maladie n’est pas de notre « fait », on la subit.
Leur vocation n’est pas de nous faire apprendre, ou évoluer, ou nous amener vers une réalité plus positive. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas en tirer des enseignements, des informations, ou qu’ils ne nous font pas avancer vers autre chose. Mais ne brûlons pas les étapes et arrêtons d’estampiller ces moments désagréables, douloureux voire dévastateurs avec des paillettes en plastique.
« L’obsession actuelle à trouver un sens positif à tout est une insulte à la réalité de la souffrance et de la perte. »
On parle souvent d’accueillir les émotions, les laisser nous traverser. Combien de fois j’ai espéré que j’aurai des déclics, que certaines douleurs allaient passer suite à telle ou telle thérapie ? Les accueillir plutôt que les refouler : mille fois oui. Cela dure quelques instants, quelques minutes et c’est important de le faire car on gagne du temps sur la suite. Mais si on a refoulé des choses pendant longtemps, si on vit quelque chose de particulièrement douloureux c’est aussi important d’accepter que cela peut prendre du temps et qu’on ne sera peut-être (sûrement), plus exactement comme avant.
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L’ici et maintenant est engourdissant et balaye tout espoir et rêverie de demain.
Ce bonheur tel qui nous l’est vendu est devenu un cliché, une photographie d’un moment qui doit être photogénique pour rendre heureux. Moment cadré, instantané, capturé dans le fameux moment présent le temps d’un flash. Il suffit de prendre la pose.
Et sous l’injonction de vivre le moment présent, on se cantonne à vivre dans un enclos entre hier et demain, en mettant de côté l’espoir.
« Ce qui nous agrafe au présent, n’est-ce pas paradoxalement la douleur ? ».
Plus fort encore, c’est dans la dépression qu’on est dans un présent qui n’en finit pas, ou passé et futur n’existent pas.
On pourrait même dire que le moment présent contribue à la sensation de manque et d’angoisse, car dans le « profiter de la vie » résonne une suite aux airs de « avant qu’il n’y en n’ait plus ».
Alors qu’il y a plus à vivre que ce que contient l’immédiat. Cela me renvoie à des réflexions sur notre société d’immédiateté. Tout, tout de suite, le plus vite possible, le plus possible. Il nous restera quoi pour demain ?
La place de l’espoir et du sens
L’espoir est important. Le sens qu’on donne aux choses aussi puisque nous avons besoin de sens (j’y reviendrais dans un autre article). Mais pas nécessairement un sens positif ou constructif, ni un espoir illusoire. Simplement de quoi nous permettre de continuer le chemin de la vie et de prendre sa place « au beau milieu du cours des choses ».
Avec ce petit recul que je peux me permettre de prendre aujourd’hui, je peux vous dire que la perte d’espoir et de sens est ce qui m’a fait mal cette année. J’avais beau rassembler mes ingrédients du bonheur, le résultat n’avait pas la même saveur. Qu’est-ce qui expliquait que ce qui m’apportait du bien-être quelques semaines plus tôt ne m’apaisait plus ? Pire, cela m’angoissait de me sentir perdre pied malgré mes béquilles.
Ce qui me bloque dans mes projections, ce n’est même pas tant le Covid. C’est le changement climatique. C’est ce qui fait que même ce que l’on met en place aujourd’hui me semble absurde.
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« En perdant l’espoir, on perd le mouvement, on vide l’existence de substance (…) Espérer, c’est savoir que la vie est devant soi, la conviction que les réserves ne sont pas épuisées, la volonté de ne pas rester là où nous sommes ».
Ce que j’ai quand même fait en 2020
Je dois dire que malgré tout ça, je suis assez contente de terminer l’année sur une note encourageante, qui me redonne même de l’espoir.
Car en face de mes difficultés internes, de mon immobilité temporaire et de ma phobie sociale, le bilan de mon année contient aussi de belles avancées.
J’ai donné naissance à mon nouveau projet bien-être dans lequel je mets beaucoup d’amour, j’ai quitté Paris (grosse décision !) et je vais bientôt emménager dans un nouveau chez moi (ce que j’attends avec impatience !). J’ai récupéré mon sommeil et appris (à peu près) à me détendre. J’ai complété certaines formations, sorti mon e-book et même dégagé mes premiers revenus d’auto-entrepreneuse.
J’ai un peu lâché certaines habitudes écologiques, faute d’envie de m’adapter à de nouveaux repères ; ce sera pour 2021 hein !
Et j’ai eu le luxe de partager des fous rires. Et ça, c’est du pur bonheur.
« L’essentiel n’est pas de savoir ce qu’on veut, mais de vouloir ce qu’on fait. »
On ne se refait pas en un jour, cela me rassure de dresser le panel de certains accomplissements ! En vrai, même si je n’avais pas fait tout ça, ce serait ok aussi. On a traversé cette année, et c’est déjà bien !
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Et toi, comment regardes-tu 2020 ?
J’ai quelques similitudes dans ce qui est décris. J’ai hâte de commencer autre chose en 2021. 2019 m’a apporté des grandes déceptions et un deuil qui m’a écrasé physiquement et mentalement. 2020 aura été guère mieux, car au lieu d’accepter les événements passés, je les ai niés. Il a fallu le milieu de l’année pour que je commence à en parler et à réfléchir mais hélas, trop tardivement. J’ai fragilisé ma santé, mes nerfs…et même le moral. Je vais mieux mais c’est très long aussi, on croit que tout va bien et non, c’est hélas pas si simple.
Je donnerais cette définition à la « dictature du bonheur » : tu n’as pas le droit d’être triste. Sinon tu es coupable… de quoi, sans doute de ce monde actuel qui nous presse à en faire toujours plus, et gare à nous si on suit pas le rythme. Sauf que j’ai arrêté de suivre ça, du coup, certains disent ou catalogue de « dépressif ». Je dirais plutôt que je suis « en cours d’évolution ».
J’écris pour avancer, j’avais débuté un blog pendant le confinement mais j’ai pas eu le courage de continuer. Peut-être devrais je.
Au revoir 2020, bonjour 2021. Promesse d’autres lendemains.
Bonne année et merci pour ce blog
La Mer Rousse
Merci pour ton témoignage qui me parle énormément ! Je compatis au sujet de tes déceptions et deuils et j’espère que tu retrouveras un apaisement bientôt. Je ne sais pas si la dictature du bonheur est « tu n’as pas le droit d’être triste ». Je trouve que de plus en plus on « autorise » à être triste mais à condition justement d’en faire quelque chose de positif, d’en apprendre quelque chose, de s’en faire une raison. C’est en ça que je vois la dictature : ne montre pas trop que tu es triste, prends toi en main car tu es le maître de ta vie, et si tu es triste c’est à toi de le surmonter. Ce qui d’un côté est vrai, mais je trouve ça d’un froid. En ces temps où on est séparés les uns des autres, je le vois encore plus. Nous sommes des êtres sociaux et nous avons besoin les uns des autres. Ce n’est pas une faiblesse que de ne pas arriver à tout « gérer » tout.e seul.e.
Et n’importe qui a le droit d’être dépressif, ce n’est pas un gros mot. J’en sais quelque chose. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me l’admettre parce que pour moi, c’était un aveu d’échec, de faiblesse totale. Au contraire, c’est courageux de regarder son mal en face. C’est la première étape pour avancer. Si le sujet t’intéresse, il y a une vidéo Youtube sur le compte La Carologie sur la dépression qui est vraiment très bien.
Bon courage à toi !
Bonjour Emma,
Je te remercie de ton message. Oui, c’est vrai « dépressif » n’est pas un gros mot mais un état de faiblesse. Quand je me relis, je vois que les choses ont un peu évolués en quelques semaines. Accepter sa faiblesse c’est avant tout vouloir avancer. J’ai parcouru le compte la Carologie mais pas encore trop regardé. J’ai surtout pu discuter avec certains proches, mettre des mots sur des maux, et ça m’a permis de mieux comprendre certaines réalités ( notamment que j’avais des relations toxiques). Le regard de l’autre nous aide, j’ai pu l’expérimenter.
Juste est-ce possible, afin de ne pas polluer de commentaires ton site, poser des questions dans la rubrique « contact »? A bon escient, c’est uniquement pour avoir des infos, pas plus.
Je ne te retiens pas plus, ton blog est très riche d’infos, je vais donc encore une fois en profiter pour chiper de bonne idée :).
A bientôt,
La Mer Rousse
Merci à toi pour tes retours. Et oui pas de soucis pour me parler via la page contact, avec plaisir. Je répondrai quand je peux car je suis un peu chargée en ce moment, je ferai au mieux !
Belle journée à toi !
Chère Emma,
Plusieurs choses résonnent en moi dans ton article, en particulier le regard critique que tu portes sur le développement personnel. Ça fait d’ailleurs des années que je veux publier un article à ce propos et justement hier, je l’ai mis sur ma liste d’articles que j’ai vraiment à cœur de publier en 2021 :-).
J’espère sincèrement que 2021 sera ponctuée de nombreuses joies et de moments de sérénité pour toi… je te souhaite en tout cas une bonne installation dans ton nouveau chez-toi. Je t’embrasse.
Merci Natasha ! Cela ne m’étonne pas que nous partagions un écho sur ce sujet là ^^ ! Cela fait à peu près un an qu’il est dans ma tête aussi, et là je crois que j’étais plus mûre pour en parler. Avec du recul, sans non plus juger (je l’espère). Étant donné que je me lance dans le bien-être, c’est important pour moi d’arriver à faire preuve d’un certain discernement et je pense que mon parcours personnel m’y aide beaucoup. Je remarque plein de choses qui me font réagir, que ce soit chez les autres ou sur une vision que je peux aussi avoir.
Il y a peu j’ai animé un atelier de routine matinale et en la faisant je me suis surprise à remarquer que j’enchaînais les pratiques sur une to-do list plutôt que de prendre le temps de vraiment apprécier un moment.
Je crois que c’est là que j’ai perçu vraiment ce qui m’ennuyait et la lecture de ce livre a mis des mots sur ce qui m’étaient encore difficile à exprimer. J’ai hâte de voir ton article et au plaisir d’en discuter avec toi !
Je te souhaite également une année plus apaisante :)