Le burn-out militant

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Cela fait un petit moment que cet article me trotte mais je ne sentais pas encore le moment de coucher les mots sur le papier de cette façon. J’ai a plusieurs reprises parlé de mon épuisement et de mon éco-anxiété, mais ce terme de burn-out militant est plus juste. Je vous explique.

Le burn-out militant c’est quoi ?

Le burn-out est l’état d’épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’une exposition à des situations de travail exigeantes : stress récurrent, pression hiérarchique, harcèlement moral, obsession du travail, fatigue extrême, ou au contraire sentiment de perte d’accomplissement, dévalorisation de soi. Bref, le burn-out, c’est la corde qui pète. Le corps qui lâche, qui nous met dans une situation d’arrêt.

Dans le milieu militant, le burn-out est lié à plusieurs choses (c’est mon interprétation, je le précise) :

  • La charge mentale liée à la montagne d’actions à entreprendre face aux moyens humains et financiers.
  • La précarité dans laquelle on se trouve, effectuant le travail de plusieurs personnes pour une petite rémunération, une indemnisation ou en faisant du travail gratuit (appelé bénévolat).
  • Le stress émotionnel lié à la réalité de notre monde qu’on prend en pleine face tous les jours : violences sur les femmes, violences faites aux animaux, destruction de la planète, situation sociale ou sanitaire et j’en passe.
  • Le fait de devoir remplir des rôles pour lesquels on est pas préparé.e.s ou formé.e.s. On doit jongler entre plusieurs casquettes, parfois à devoir encaisser des témoignages difficiles sans être médecin ou psy.
  • La volonté de vouloir faire son maximum parce que cela nous semble vital, urgent et à l’encontre du système établit.
  • Le fait d’aller systématiquement à contre-courant, devoir se justifier, expliquer, sensibiliser, alerter tout en tolérant la façon dont les choses se produisent.
  • Le sentiment de culpabilité que l’on ressent dans chacun de nos choix de consommation et de vie, car on se retrouve sans cesse tiraillé.e.s entre nos convictions et la direction dans laquelle la société nous emmène.
  • La fatigue physique, car bien évidement le corps ne peut pas suivre.

Je pourrais continuer, mais vous voyez l’idée !


L’associatif, le bénévolat et les lanceur.euse.s d’alerte

Travailler dans l’associatif

Cela fait 10 ans que je côtoie le milieu associatif. En tant que bénévole ou salariée, j’ai vu les deux côtés. J’ai vu le travail que j’ai brassé – et continue de brasser – pour soutenir des causes qui me sont chères. J’ai vu des bénévoles tomber les un.e.s après les autres car on leur en demandait trop. J’ai ressenti la pression de trouver les financements pour assurer nos actions et la dissonance cognitive de faire appel à du travail bénévole pour parer à nos manques de moyens humains.

Sans les bénévoles, les associations ne tiennent pas. Iels sont la puissance qui leur permet d’avancer, et bien souvent, iels restent dans l’ombre. Il existe bien évidement plein de types de bénévolat et c’est très différent entre une petite et une grosse association.

Dans les petites associations, c’est particulièrement vrai. Sans les bénévoles, elles n’existeraient pas. En temps qu’ex co-directrice d’association, j’ai eu parfois l’impression de faire de l’esclavagisme moderne en sollicitant tant d’aide non rémunérée.

Porter une responsabilité

Alors oui, les bénévoles sont consentants, mais iels ressentent aussi souvent une pression à travailler (qu’on leur impose ou qu’iels s’imposent elleux-même car iels veulent faire tout leur possible). Sauf que ce n’est pas humain à mon sens et cela joue sur les mêmes dysfonctionnements que le capitalisme. Et cela me désole.

Ce qui me désole encore plus, c’est de réaliser que ces associations, ces bénévoles, font un travail d’utilité publique qui comble un gros vide qui devrait être géré par l’État.

Et pourtant, je continue. Malgré moi, je continue d’écrire, je continue de faire du bénévolat. C’est inscrit profondément en moi, et malgré un burn-out et de l’éco-anxiété (entre autres), je me vois retomber dans les mêmes travers, à distribuer des heures de vie sans reconnaissance. C’est à moi de travailler mes limites, et j’y travaille !

▶ A lire aussi : Comment sortir de l’éco-anxiété ?

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Le burn-out militant et moi

La chute

Comme je le disais, cela fait 10 ans que je suis dans l’associatif, de prêt ou de loin. J’ai conduit des études, rédigé des rapports, participé à des missions volontaires, co-dirigé une asso, animé des ateliers, mené des campagnes…

Et vous savez quoi ? C’est en tant que salariée que j’ai craqué.

Bénévole, j’avais une marge pour dire « non », alors que salariée je considérais qu’étant payée et faisant appel à des bénévoles, je me devais de faire mon max. Ça n’a pas loupé, je me suis effondrée. J’utilise ce mot intentionnellement, car on parle de l’effondrement de la société mais peut de son effet miroir interne.

Physiquement, je me suis blessée, ce qui m’a poussé à ralentir, mais ce n’était pas assez. Si mon corps était au ralenti, mon cerveau non. Pire, je culpabilisais et me flagellais de ne pas être en état de faire plus. Car ce que je ne fais pas se répercute sur une autre personne. Mais c’est un raisonnement malsain.

Les pieds dans le tapis

Je pensais que ce serait réglé en quittant mon poste. Mais c’était le premier domino. Cela a ensuite touché ma sphère personnelle car mon militantisme écolo que j’ai mis en pause à ce moment a été remplacé par la cause féministe. J’ai pris un revers auquel je ne m’attendais pas. Les réalisations sur ma place de femme m’ont profondément bouleversées et ont débordé dans mes relations personnelles, me rendant incapable de savoir où me situer, que penser, que faire, de savoir qui j’étais dans tout ça et d’être dans une relation.

J’ai fait mon possible pour rester à flot, avec l’envie de recréer ma vie ailleurs. Et le Covid est arrivé pile au moment où je reprenais mon souffle. J’ai sombré au plus bas de moi-même.
Perdue, sans vision du futur, avec la sensation que l’effondrement était là, l’urgence de créer cette vie que je voulais… sans savoir ce que je voulais. Figée, bloquée, déprimée, désespérée même. Troubles du sommeil, crises d’angoisse, anxiété généralisée, dépression, phobie sociale, j’ai fait à peu près la totale.
J’en ai encore la gorge serrée de poser ces mots publiquement. Car j’ai été extrêmement dure avec moi-même, je me suis détestée de me sentir aussi inutile, incapable et seule.

Je me réveillais le matin en me demandant comment j’arriverai à passer la journée et j’avais cette voix qui me répétait que la vie n’avait plus rien pour moi. Quel intérêt à vivre dans un monde où on détruit tout, où on expose ouvertement misogynie et racisme, où tant de violences sont faites quotidiennement, sans pouvoir sortir et créer du lien social, la seule chose qui ait encore du sens à mes yeux ?

Se relever

Et pourtant, si aujourd’hui je peux commencer à en parler c’est que je sens que le plus dur est derrière moi. Je démarre de nouveaux projets et j’ai un nouvel appartement – même si ce n’est pas du tout dans un lieu que j’aurai imaginé et que j’ai encore du mal à m’y faire. Je reconstruis ma base, ma vitalité, ma confiance. C’est long, c’est lent. En tout cas dans un monde ou tout va vite.

La difficulté est d’apprivoiser ce besoin d’agir et de militer pour ne pas refaire le même scénario. De faire une place au plaisir sans culpabiliser. De remettre de l’équilibre entre mes convictions et mes actions. J’ai encore du chemin.

Surtout que je vois un autre sujet pointer le bout de son nez sur lequel je risque de me heurter : le colonialisme et les privilèges à être blanche.
Je te vois. On va y aller mollo.

A travers cet article je voudrais saluer tout.e.s les bénévoles qui permettent à ce monde d’être vivable, toutes ces associations qui agissent pour faire ce que l’État devrait faire mais ne fait pas, tou.te.s ces influenceur.e.s qui diffusent l’information et toutes les personnes qui mettent des choses en place dans leur quotidien et bousculent le système comme elles le peuvent.

Et je remercie les personnes autour de moi qui ont été là, sont là, m’encouragent, me soutiennent. Sans elles, je ne sais pas où je serais.

A lire aussi :

Burn-out militant, Socialter
Le burn-out militant qui touche les féministes, Huffingtonpost

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Et toi, comment abordes-tu le burn-out militant ?

Burn-out-militant-Pin

 

 

 

 

 

 

Planet Addict

A 24 ans, j'ai plaqué mon CDI pour partir voyager. Un voyage qui m'a emmené plus loin que ce que je pensais : il m'a ouvert des portes pour suivre mes rêves, m'engager à adopter un mode de vie minimaliste et plus éthique, et élever ma conscience. Depuis 6 ans je partage mon cheminement et mes changements d'habitudes de vie avec vous, en espérant planter des graines !

Cet article a 8 commentaires

  1. De Gaetano

    Bonsoir,

    Quand je lis ton texte, je pense à une remarque de Sadhguru, yogi indien, qui a créé une association composée de bénévoles ; Il disait, en souriant, qu’ils devaient vivre ensemble, qu’ils n’étaient pas parfaits, mais qu’il ne pouvait pas s’en séparer. Dans le monde du travail, la situation est différente avec des exigences très fortes, notamment en termes de conformité, de soumission.
    Pour le reste, il me semble qu’il est judicieux d’apprendre à se connaitre, de se libérer du formatage et des habitudes acquises, de voir la réalité pour l’accepter, ce qui n’est pas se résigner. Apprendre à s’aimer pour aimer les autres est un chemin riche et passionnant que je te conseille. Il est nécessaire de dépasser les a priori, les clichés, en ne jugeant pas, en ne pas catégorisant pas (blancs = privilégiés). Que cherche-t-on à réparer quand l’on cherche à rétablir la (notre) justice à toute force ? Pourquoi toujours choisir le chemin qui nous inflige des souffrances ?

  2. Marianne

    ♥♥♥♥
    Je crois que je comprends un peu ce que tu as pu ressentir. En tous cas je trouve toujours tes articles très intéressants. Merci pour tout cela.

  3. Pascal

    Bonjour Emma,
    la succession de petites perturbations qui se propagent dans le temps avec au final, le choc terrible « le fameux Burn-Out » ! Après cet effondrement, le chemin vers la résilience est un travail propre à soi, avec en première ligne de front, prendre soin de soi, puis des autres et de la planète : tout est lié !
    Un livre qui offre des pistes, « Les 5 cercles de la résilience du Dr Emmanuel CONTAMIN. Edition Larousse ».
    Merci pour ton blog et tes articles,

    1. Planet Addict

      Merci pour ton retour Pascal ! Et oui, prendre soin de soi est au centre de tout !

  4. Léa

    Bonjour et merci Emma,
    Cet article m’a beaucoup touché. Depuis plusieurs mois, je n’arrivais pas à mettre un mot sur mon ressenti, cette frustration de ne pas pouvoir en faire plus… Nous sommes intégrés dans un système avec lequel nous sommes obligés de composer et qui amène des interrogations et de la culpabilisation. Je culpabilise souvent de consacrer du temps à un travail qui, bien que répondant à des valeurs humaines, ne me permette pas d’aller au fond de mon militantisme pour les animaux et l’environnement.
    Même si la situation n’est pas exactement la même, je pense entrevoir ce que tu as traversé et te souhaite de retrouver pleinement cette harmonie en faveur de ce plaisir dénué de culpabilité.
    Merci à toi pour ton blog et tous tes articles.

  5. Nicolas

    « Et vous savez quoi ? C’est en tant que salariée que j’ai craqué. »

    Le burn-out est encore assez mal connu et reconnu, et je suis effaré de constater à quel point le burn-out militant est encore complétement invisible pour le moment.
    Je me retrouve beaucoup dans ce que tu as courageusement exprimé, notamment cette phrase où tu expliques que c’est le passage de la fonction de bénévole à salariée de ton association qui t’as fait plonger vers le burn-out.
    Effectivement, toute la pression que l’on ressent face à son impuissance en tant que bénévole se démultiplie en assumant la casquette de salarié. En tout cas, dans les petites structures, c’est frappant : on devient la personne ressource qui centralise les informations, donc qui est sollicitée sans cesse ; petit à petit on agrège l’ensemble de la charge mentale de l’association ; et on cultive une forte culpabilité, puisque nous sommes – nous – payé pour faire ce que nous faisons, aussi, de quel droit pourrait-on se plaindre ?
    On tire sur la corde, jusqu’à ce que le corps lâche, car notre esprit est complétement obnubilé par une quête de l’impossible. Mais dans les faits, ce n’est pas le corps qui lâche : les crises d’angoisse, attaques de panique et autres joyeusetés ne sont déclenchées par notre corps que comme des appels de détresse. C’est notre corps qui nous impose un arrêt car notre esprit est défaillant pour prendre soin de nous.

    Merci en tout cas pour ce témoignage, et je te souhaite une bonne continuation !

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